dimanche 22 novembre 2015

Les maquis

Toutes les fins de semaine ou presque, nous avions le même rituel. Direction Grand-Bassam. Situé à environ 45 kilomètres d'Abidjan, nous avions tous hâte d'y arriver. Cette ville faisait façade à l'océan Atlantique. Durant le chemin, on pouvait y apercevoir des centaines, voir des milliers de cocotiers, tous enlignés comme des soldats séparant ainsi la mer de la route. Lorsque ma mère roulait à 100 km/h, on les voyait défiler rapidement comme dans un film hollywoodien.

Ce lieu, à l'époque, était la plage par excellence. Quelques clubs de piscines privés longeaient la plage et leur piscine était remplie d'eau de la mer. Cette plage avait la particularité d'être propre avec des vagues à faire peur notre petit corps d'enfant.

Aujourd'hui, je ne vous parlerai pas de la plage de Grand-Bassam. Cela fera l'objet d'un autre article. Je vous parle aujourd'hui des maquis, plus particulièrement ceux qui longeaient la route de Grand-Bassam. Ceux que l'on retrouvaient à Abidjan étaient très différents.

D'abord qu'est ce qu'un maquis. Je vous rassure tout de suite, il ne sera pas question de guerre. À l'origine, ce mot désignait un groupe de résistants à l'époque de la Deuxième Guerre mondiale. Faisant ainsi référence à l'expression corse "prendre le maquis" qui était une sorte de forêt de type méditerranéenne. Les résistants aussi appelé "maquisards" se réfugiaient dans cette forêt pour préparer une vendetta ou pour ne pas répondre aux différentes autorités en place.

Avec l'arrivée des français surtout des Corses en Côte d'Ivoire et le début de la colonisation, les maquis se sont développés. De ce fait même, les maquis n'étaient plus ce qu'ils étaient en France. Ils sont devenus des restaurants très discrets et populaires où se côtoient nourriture, culture et lieux de rencontre. On y servait des viandes dite de brousse et parfois illégales parce que la chasse de ce type de gibier était entre autre interdit. Du fait qu'ils étaient souvent cachés ou connu surtout à cause du bouche-à-oreille, les maquis restaurant et les gens qui les fréquentent (les maquisards) ont une certaine similitude avec les maquis (forêts) et les maquisards (résistants).

Revenons donc à mes souvenirs d'enfance. Quand nous revenions de la mer, ma mère, parfois, s'arrêtait dans un maquis pour y souper. C'était la joie. Nous savions tous que nous allions nous régaler. 

Les maquis, le long de la route, étaient en bois. On y retrouvait plusieurs tables et bancs prêts à accueillir des gens. Nous allions souvent au même maquis. À l'heure où nous arrivions, il n'y avait pas beaucoup de monde. Quelques familles ou personnes assisses par-ci par là attendaient d'être servis. Parfois, il arrivait que nous soyons seul dans le maquis. À ce moment là, je me sentais pas mal spéciale. Je ne saurais expliqué pourquoi. Le décor plutôt sobre et souvent défraîchi ne nous dérangeait pas. 

Assis sur les bancs en bois qui n'auraient pas refuser une couche ou deux de peinture, nous attendions impatiemment que la cuisinière vienne nous porter le repas.  Nous n'avons jamais mangé de viande de brousse, ma mère commandait surtout du poulet ou du poisson braisés accompagné d'attiéké (met ivoirien à base de manioc et de semoule) ou d'alloco (banane plantais frite). Nous avions tous hâte de voir se déposer sur notre table ce poulet et ces poissons. L'odeur de ce poulet est encore très présent dans ma mémoire. Je ne sais pas de quoi il était mariné mais il y avait fort probablement de l'ail et un cube de bouillon Maggi. 

Voilà enfin la pièce arrivée sur notre table. D'une couleur jaune-brun clair, nous savions le poulet savoureux et bien cuit. Nous la regardions en se demandant quel morceau prendre. La cuisse ou la poitrine. Je ne vous le cache pas, nous ne gaspillions aucune partie de ce poulet. Nous mangions tout y compris la peau du poulet bien grillé aussi grasse était-elle. Un vrai délice pour nos babines et notre estomac. À ma défense, je dirais que la journée passée à la mer et dans l'eau principalement nous creusait facilement l'appétit.

À la fin, il ne restait qu'une pauvre carcasse de poulet dénudée de toute chair mais elle avait fait le bonheur de nos estomacs affamés. Chaque bouchée était un plaisir partagé en famille. Nous revenions à la maison le ventre plein et la tête remplie de souvenirs. Quoi demandé de mieux.

À cette époque là, ma mère n'était pas bien riche mais elle savait nous faire plaisir par ces petits moments de délices culinaires. Aujourd'hui si j'aime bien manger et cuisiner, je dois dire que je le dois à ma mère. Elle a su mettre autour de la table des moments joyeux et de partage qui me suivent encore aujourd'hui.


lundi 26 octobre 2015

Le grotto ou le yaourt glacé

Nous n'avons jamais manqué de nourriture à la maison, ma mère parvenait à nous nourrir convenablement, un peu trop même je dirais. D'ailleurs, mes photos d'enfance montre bien que nous étions en santé! Un peu trop en santé. En arabe, on dit "smalla". Ce mot à plusieurs significations. Dans certains cas, c'était une façon polie de dire que l'enfant était en santé, bien en santé! Je l'ai entendu souvent ce mot là quand les amies de ma mère venaient prendre un café, surtout si celle-ci ne les avait pas vus depuis longtemps. Je ressentais beaucoup de joie à entendre ce mot. "Wow un peu d'attention, ça fait du bien." Aujourd'hui, je ne suis pas sûre. "Smalla Zeina tu vas bien", me semble que je l’interpréterai d'une autre  façon. Mais bon, ça c'est mon cerveau d'adulte qui parle car mon cerveau d'enfant se dirait: "wow un peu d'attention, ça fait du bien." Non pas que j'ai manqué d'attention plus petite, bien au contraire, je pourrais écrire des pages et des pages d'histoires sur les étoiles du midi que ma mère à découvert avec moi. Mais bon ça, c'est un autre projet, dans une autre vie!

La semaine, nous commencions l'école très tôt le matin. Je ne me rappelle plus de l'heure à laquelle nous quittions la maison mais je sais qu'il était beaucoup trop tôt pour que mon petit cerveau soit complètement présent à écouter ou  à réciter les leçons du jour à Mme Bueno, Melle Virginie ou de M. Diakité. À partir de 11:00, Je n'avais qu'une idée, que la petite et la grande aiguille se touche.

Midi pile, la cloche sonne enfin. L'heure de déjeuner était enfin arrivé, deux heures de pause bien mérités. Nous rangions des livres et cahiers en quatrième vitesse car nous n'avions qu'une idée. D'être le premier ou la première devant le vendeur de croche-croche, de grotto ou de l'une de ces choses les plus alléchantes les unes que les autres et ce toujours dans notre tête d'enfant.

Chaque jour en sortant de l'école, différents vendeurs et vendeuses nous attendaient proche de la grille. Prêts à nous vendre différentes gâteries sachant très bien que nos petits ventres affamés les réclameraient. Une journée c'était le grotto, l'autre le croche-croche. 

Aujourd'hui c'est le grotto. Ancêtre fort probablement du minigo congélé avec son bâton en plastique, c'était un yaourt comme on l'appelait en Côte d'voire qui était congelé dans un petit récipient dans lequel tenait littéralement un morceau de bois. Avec la chaleur ambiante, les vendeurs n'avaient peine à nous les vendre et ce à bon prix. Pour moins de 1$ à l'époque, nous étions tous contents.

Chaque léchée représentait un doux bonheur à mon estomac. J'anticipais bien la fin de ce délectable yaourt crémeux à un moment donné  si bien que je profitais de chaque contact de ma langue sur le bout de cette glace en pensant à celle du lendemain. C'est ce qu'on appelle se lécher les babines. Oui, je dois bien l'avouer, j'étais gourmande et je le suis encore. C'est bien pour cela que mes quelques souvenirs de Côte d'Ivoire ne tiennent qu'à de la nourriture. 

De ce yaourt glacé, j'ai gardé le souvenir de la fraîcheur qu'il dégageait, de son goût crémeux et des "sapages" que nous faisions pour le terminer rapidement. Ce mouvement de "sapage" rapide permettait d'accumuler dans la bouche une bonne quantité de lait glacé qui se transformait en liquide et que l'on avalait par la suite. Puis à un moment donné, quand la glace devenait plus clair, on savait que la vie du lait était bientôt terminé. On croquait alors dans chaque bouchée pour essayer de garder un peu de ce lait et c'est à ce moment que nous nous rappelions que vous avions des petites dents fragiles et une bouche qui avait ses limites. Mais qu'à cela ne tienne, nous faisions la même chose à chaque fois en se disant que ce n'était que temporaire. 

Ma mère prenait soin de nous mettre des serviettes en dessous de chaque glace. Lorsqu'elle arrivait à sa fin, non seulement par les coups de langue répétés et rapides mais aussi de la chaleur incroyable qui en faisait fondre une petite partie, nous jetions par dessus bord le petit bout de bâton qui restait. Et oui par dessus bord! Je vous entends crier "ben voyons, ça ce fait pas". Humm, l'esprit écologique n'était pas aussi développé dans les années 80 chez nous. Mais à ma défense, je dirais que c'était un morceau de bois et qu'il s'auto-recyclait à la longue. De toute façon dans ma tête, l'écologie ne m'intéressait peu, je me demandais déjà laquelle des gâteries j'allais prendre le soir à la sortie des classes à 18:00 ou le lendemain car bien évidement le spectacle recommençait à chaque sortie de classe.




dimanche 25 octobre 2015

"Coco taillé, canari cassé!"

Pourquoi ce titre, très simple. Je suis née en Côte d'Ivoire. Pays que l'on surnomme aussi "la République du cacao". Plus jeune, nous avions souvent dans la bouche cette expression pour rire de l'un ou de l'autre d'une situation cocasse qui nous était arrivé. Une version plus occidentale de ce proverbe africain serait qu'on ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs.

Le coco en Côte d'Ivoire signifie les cheveux de la femme, le canari est un grand récipient en terre cuite dans lequel les femmes le remplissaient d'eau fraîche. Donc lorsque les femmes coupaient leur cheveux, il leur était plus difficile de porter sur la tête le canari. D'où cette expression de "coco taillé, canari cassé". En d'autres mots, si tu coupes tes cheveux, il te sera difficile de porter de l'eau sur ta tête.

Tous les souvenirs que j'ai gardé de ce pays sont reliés à la nourriture. Sur ce blogue, je tenterais de vous livrer les plus beaux moments que j'ai vécu durant mon enfance. Cette année, à quelques mois de nos trente années au Canada, je me permets un retour un arrière dans un passé pas si lointain mais qui me semble une éternité 

Entre le marché de Treichville, le vendeur de viande le long de la route de Bassam et le vendeuse d'alloco au coin de la rue, vous découvrirez, je l'espère une Afrique comme vous ne l'avez pas encore connu. Loin des préjugés et des stéréotypes, l'Afrique demeure un continent très spécial à découvrir.

Tout d'abord avant de commencer, je vous propose un petit cours d'histoire culinaire rapide sur la Côte d'Ivoire. Mis à part le café et le cacao, on y retrouve aussi l'ananas, la canne à sucre, la mangue, la banane, la papaye et l'avocat. Ces aliments se retrouvent quotidiennement dans mon alimentation, ils font partie de moi. La banane aussi banale soit-elle est un de mes fruits préférés. Vous savez ce genre de d'aliment qui nous réconforte, qui nous fait sentir bien. Je ne saurais trop comment l'expliquer. Ma mémoire est surtout olfactive et je retrouve dans l'odeur et le goût des aliments des souvenirs qui se sont quelque peu éparpillés dans mon cerveau avec les années. 

En chemin, on rencontrera aussi les maquis avec les poulets ou les poissons grillés, l'igname, le manioc, le maïs et la banane plantain. Encore la banane me direz-vous! Et oui encore la banane. Frits, bouillis, cuits au charbon de bois, tous ces aliments sentent le bonheur, la joie de vivre et l'innocence d'une enfance un peu trop vite disparu.

Comme je le dis souvent: "On peut toujours sortir quelqu'un d'Afrique mais on ne peut sortir l'Afrique de son cœur". Je vous souhaite une belle lecture et de belles découvertes d'un pays si peu connu. 



Arrivée à destination à ABJ en provenance de YUL.